
Sans-titre, 2024, monochrome coulisses
La démarche d’Alexandra Dubé Loubert s’inscrit dans le prolongement du mouvement automatiste qui a vu le jour au Québec au début des années 1940 et dont l’objectif était de contrer la rigueur véhiculée par le conservatisme artistique, politique ainsi que l’emprise de la religion catholique sur la population apeurée par les mystères de la foi.
Les Automatistes sont des adeptes de la non-préconception de l’œuvre. Cette forme de création laisse place au hasard, à l’invisible et embrasse l’abstraction. La façon de faire d’Alexandra s’inscrit au sein de ce mouvement puisqu’elle ne connaît jamais le résultat final de son travail. On pourrait dire qu’elle crée à l’aveugle tout en étant à la recherche d’un esthétisme non figuratif que seul le mariage des couleurs et des matériaux fera naître sous son doigté agile.
Devant l’abstraction d’une peintre automatiste, on suggère « de prendre le point de vue de la genèse de l’œuvre plutôt que celui de son aboutissement, les conditions de sa fabrication plutôt que son sujet, ou si l’on veut, d’adopter le point de vue [de la] peintre qui fait le tableau, plutôt que celui du spectateur qui le regarde » (Gagnon 2015 : 70). Mon rôle n’est donc pas de vous dire si la toile me plaît ou pas, mais bien de vous expliquer comment Alexandra s’y est prise pour aboutir à ce résultat tout en décrivant ce qui s’offre à notre vue. Vous remarquerez qu’à l’occasion je partage mon interprétation de certaines peintures, l’intention derrière est d’aider les visiteuses et les visiteurs aveugles et malvoyants à se créer une image mentale des toiles. Soyez assurés que l’objectif n’est pas de vous imposer ma vision des œuvres d’Alexandra, mais de vous donner le plus d’information possible sur sa technique pour que vous puissiez interpréter significativement les peintures.
GAGNON, François-Marc (2015) : Riopelle, l’ekphrasis et l’invisibilité. Études françaises. 51(2), 69-86.
Vous voici devant une peinture, acrylique sur canevas, créée en 2024 par Alexandra Dubé Loubert, elle est sans-titre et monochrome, c’est-à-dire qu’on y trouve qu’une seule et unique couleur, en l’occurrence le blanc qui se décline en deux teintes. Cette toile de 12 pouces (30,5 cm), approximativement la longueur de votre avant-bras, du pli du coude au poignet, sur 18 pouces (45,7 cm), donc à peu près du bout des doigts au creux de votre coude, éblouie de clarté comme lorsque le soleil rayonne et frappe de ses mille feux la neige immaculée d’une bordée fraîchement tombée.
Alexandra m’a expliqué comment elle s’y était prise pour créer cette toile-à-toucher. Soit dit en passant, nous vous encourageons à explorer la toile de vos doigts pendant que vous écoutez cette description. Elle se trouve devant vous, tender les bras, faites lentement quelques pas et le bout de vos doigts effleureront cette peinture. Alexandra a d’abord recouvert l’entièreté du canevas d’une mince couche de peinture blanche. Lorsque vos doigts parcourront la partie inférieure de la peinture, vous ressentirez la rugosité de ce tissu résistant composé de fibre de coton. Au toucher de ce textile brut, la sensation au bout de nos doigts se trouve à mi-chemin entre le jute et le denim. Une fois que cette première couche de peinture fut sèche, d’une main Alexandra a incliné la toile et de son autre main, elle a pris directement sa bouteille de gesso et elle a, tout simplement, fait couler des coulisses de cet enduit, plus ou moins longues, les unes à côté des autres. Le gesso est un apprêt acrylique qui est habituellement utilisé pour couvrir les canevas afin de les rendre plus lisses et plus adhérents à la peinture, par exemple. Celui qu’Alexandra a utilisé est très opaque et blanc. En faisant parcourir vos doigts sur le haut de la peinture, vous sentirez que la texture est plus épaisse, un peu comme du latex. L’aspect rêche du canevas a disparu. Maintenant, faites courir le bout de votre index de haut en bas, en diagonale ou de gauche à droite. Imprégnez-vous de ces sensations tactiles. N’est-ce pas que le changement de texture est assez drastique entre le canevas et le gesso. Pour certaines, comme Alexandra, ce seront des larmes qui seront perçues, pour d’autres, comme moi, nous y décelons les coulisses du glaçage d’un gâteau. Et vous, qu’y percevez-vous?