
Nous voici devant une huile sur toile de l’artiste néo-canadienne Alice Des Clayes. L’histoire étant ce qu’elle est, incomplète, peu d’informations ont été colligées à propos de cette artiste féminine. On sait qu’elle est née en 1890 à Aberdeen, en Écosse et que comme ses sœurs, Berthe et Gertrude, elle étudie à la Bushey School of Art. À l’époque, l’école est dirigée par Lucy Kemp-Welch qui lui enseigne la peinture équestre. Elle ira ensuite en France peaufiner son style auprès de Dudley Hardy. En 1914, les sœurs Des Clayes s’installent à Montréal : c’est en 1938 qu’elles retourneront en Grande-Bretagne. Alice meurt en 1968 à Londres.
Je dois mentionner que la Bushey School of Art est aujourd’hui un musée. Comme je considérais faméliques les informations sur la peintre transmises par le Musée et trouvées sur Internet, j’ai contacté par courriel le Bushey Museum & Art Gallery afin d’en savoir plus sur Alice et ses sœurs dont le parcours me semble peu banal. Malheureusement, je n’ai rien découvert de plus que ce dont je viens de vous transmettre.
Place Jacques-Cartier, Montréal aurait vraisemblablement été créée en 1919. Cette peinture, qui met en vedette les chevaux du marché de la place Jacques-Cartier, mesure 62 cm sur 49 cm. L’ouvrage est un rare exemple de paysage urbain peint par Des Clayes. On est devant un bel exemple de peinture postimpressionniste : c’est un petit format qui se laisse facilement trimbaler, les traits de pinceau sont apparents, on note l’abandon des lignes de contour et cette scène se déroule à la fin de l’hiver ou au début du printemps. Des Clayes dépeint le marché public de la place Jacques-Cartier qui se trouvait à l’époque face à l’hôtel de ville, rue Notre-Dame, et qu’on connaît aujourd’hui comme la place De La Dauversière. Cette place, en plus d’être devant l’hôtel de ville, est adjacente au Château Ramesay. Notez qu’à l’époque ce secteur est le centre-ville de Montréal puisqu’on y retrouve le marché et les grandes institutions gouvernementales.
C’est donc jour de marché à la place Jacques-Cartier et pour peindre cette scène, Des Clayes s’est installée sur la rue Royal qui scinde en deux la place Jacques-Cartier. Dans le coin haut à gauche de la toile, on aperçoit la colonne Nelson qui rend hommage à l’un des grands héros britanniques, l’amiral Horatio Nelson, qui a détruit la flotte française à deux reprises, soit en 1798 et 1805. La statue de Nelson est faite de pierre de Coade, une pierre artificielle venant d’Angleterre de couleur chamois, beige pâle, et elle est érigée sur une colonne qui repose sur un socle, tous deux faits de pierre grise de Montréal. Au pied de la colonne, on distingue une calèche noire tirée par un cheval gris et quelques autres animaux, dont une vache brune. La fin du jour approche puisque par-delà la colonne Nelson, le ciel se teinte de lueurs rosées.
Passons au coin supérieur droit où Des Clayes a peint l’hôtel de ville dans sa version originale : on se rappellera que cet édifice majestueux a été ravagé par un incendie en 1922 et qu’il n’a pas été reconstruit selon les plans originaux. On voit la composition symétrique en cinq parties verticales de la façade principale de l’hôtel de ville ainsi que les pavillons qui donnent du côté du vieux palais de justice, les toits de cuivre où subsistent des amoncellements de neige, le campanile, cette petite tour surplombant l’entrée principale, et l’horloge qui soulignent la fonction publique de cet édifice. De l’autre côté de la rue Notre-Dame, donc vers le centre droit de la toile, le marché grouille de monde : on distingue çà et là des marchands debout dans leur traîneau vendant leurs produits à la criée. J’imagine que certains se frottent les mains pour les réchauffer, tandis que d’autres s’activent devant leur présentoir. On aperçoit, au milieu de la foule, un kiosque avec son dôme de cuivre tirant sur le vert-de-gris.
Et puis, vers le coin inférieur droit, viennent les chevaux, sujet de prédilection de Des Cayes, qui s’alignent en une rangée qui longe la place Jacques-Cartier. Les chevaux sont peints de profil, ils portent tous la bride et la selle et ils sont tous enveloppés d’une couverture qui les tient au chaud. On les entend hennir et piaffer. La robe du premier cheval est brune et le second, qui mange de l’avoine à même la neige, est noir. Le troisième cheval est gris, sa couverture est mouchetée de laine bleue et mauve et il a le bout du museau enfoui dans un sac à moulée. À ses côtés, un cheval blanc dont le sac à moulée repose directement sur la neige. Un peu en retrait, Des Clayes a peint un cavalier portant un chapeau noir sur une monture ébène. Viennent ensuite deux chevaux bruns. On devine qu’il y a d’autres bêtes au loin, mais on ne les distingue pas clairement.
Finalement, au centre gauche de la toile, on remarque qu’un marchand et sa monture se sont arrêtés. Le cheval est blanc, son flanc est tourné vers nous; son cavalier dépose ce qui semble être un contenant de métal dans le traîneau rougeâtre monté sur des skis. La neige recouvrant le sol est éclatante et irisée d’une lumière bleutée tandis que les ombrages sont plutôt bleu gris.
Cette peinture de Des Clayes, très sensible au sort des chevaux, témoigne de leur quotidien au marché de la place Jacques-Cartier. Ces bêtes effectuent des déplacements sur des surfaces irrégulières, boueuses ou, dans le cas qui nous occupe, enneigées. Les chevaux sont soumis à des périodes d’attente prolongées dans des conditions parfois extrêmes, et ce, été comme hiver puisqu’ils n’ont d’endroit pour s’abriter tant du froid que de la chaleur. Cette œuvre cristallise un moment charnière dans l’histoire de Montréal, qui voit les transports traditionnels progressivement abandonnés au profit des véhicules motorisés. Il faudra toutefois attendre près d’un siècle avant que les chevaux ne quittent définitivement les rues de la métropole, l’interdiction des calèches dans le Vieux-Montréal ayant effet en 2020.
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