
Marcelle Ferron, artiste peintre et verrière, a vu le jour en 1924 à Louiseville et elle est décédée en 2001, à l’âge de 77 ans, à Montréal. En 1942, elle entame des études à l’École des Beaux-Arts de Québec alors sous la direction de Jean-Paul Lemieux. Deux ans plus tard, elle quitte l’École puisqu’elle considère qu’elle n’y est pas assez stimulée. Elle poursuivra sa formation en autodidacte. Celle qui réclamera toute sa vie le droit d’être révoltée rencontre Borduas en 1947. Elle rallie les rangs des Automatistes et, en 1948, sera l’une des signataires du manifeste du Refus global dont l’objectif est « d’échapper à cette société de "grande noirceur" dans laquelle se trouvait le Québec à l’époque, ils [les signataires] ont osé promouvoir la révolte, la passion et le rêve » (Millet 2017, p. 7). Notons que les Automatistes sont des adeptes de la non-préconception de l’œuvre. Cette forme de création laisse place au hasard et à l’invisible et s’oppose catégoriquement au modèle académique. Avec l’effritement du Groupe, Ferron quitte Montréal pour Paris où elle réside de 1953 à 1966. C’est à la fin de son séjour parisien qu’elle fait la découverte du verre antique et que le maître verrier Michel Blum l’initie à l’art du vitrail contemporain. À son retour à Montréal, Ferron laisse ses spatules puisque ses toiles ne sont accessibles qu’aux seuls initiés qui fréquentent les galeries huppées ou les salles feutrées des musées. Elle veut démocratiser l’art. Dans cette optique, elle réalisera de monumentales verrières, notamment pour les stations de Métro Champ-de-Mars et Vendôme. Dès 1973, Ferron retrouve ses spatules et en 1983, elle est la première femme à recevoir le prix Borduas.
Nous voici devant Retour d’Italie n° 2 créée en 1954. C’est une huile sur toile de 72,5 cm, approximativement la longueur de votre bras, et de 92 cm, soit à peu près la distance entre le bout de vos doigts jusqu’au creux de votre épaule opposée. Cette œuvre paysagiste abstraite est délimitée en périphérie par un espace flou brossé au pinceau et elle est composée d’un élément central formé de touches de couleurs appliquées à la spatule directement en pleine matière. Autrement dit, Ferron a déposé sur la toile des paquets de couleurs qu’elle a ensuite écrasés à la spatule. « Il y a donc un moment où elle ne voit plus les couleurs ni comment elles vont se mêler sous la pression de sa main. […] On pourrait y voir une parfaite traduction de l’idée de non-préconception de l’œuvre chère aux Automatistes […] » (Gagnon 2015, p. 82). Cette technique fait en sorte que Ferron peint épais. L’œuvre est texturée, rugueuse, on a envie d’y toucher comme si nos doigts pouvaient nous aider à voir.
La lumière, la transparence et l’éclat des contrastes des couleurs sont au cœur des œuvres de Ferron et Retour d’Italie n° 2 ne fait pas exception. Ici, les contrastes naissent de l’agencement des couleurs — ocre jaune, rouge carmin, vert olive, bleu royal, mauve aubergine et de quelques touches très sombres —au blanc éclatant duquel naît la translucidité des couleurs chatoyantes. C’est d’un mouvement répété, énergique et bref que Ferron écrase les couches de peinture sur le canevas. On a l’impression que c’est à peu près toujours le même court geste affirmé que pose Ferron, mais dont les résultats sont différents puisque la palette est variée.
Ce sont les émotions de Ferron extatique qui illuminent cette toile. Dans une gestuelle spontanée qui lui est propre, elle écrit l’effervescence qui l’habite au moment du retour d’un voyage en Italie. On est devant l’expression d’un bonheur issu de la rencontre de l’Autre, du partage culturel, de la découverte de la Renaissance italienne, de la cuisine, de la langue, des paysages, de tout ce qui fait le voyage autrement dit. Ferron affirme en toute couleur son authenticité.
Laissez-moi récapituler : le pourtour du canevas a été brossé au pinceau. Il est flou, aérien, laiteux, fumé. Ensuite, Ferron a appliqué les couleurs sur la toile directement à partir du tube. Le canevas est couvert de taches épaisses judicieusement déposées. Ces taches de couleurs sont écrasées à l’aide d’une spatule. Ce geste répété, ce mouvement creuse les accumulations de peinture. Un murmure coloré apparaît. Ces formes abstraites parlent d’elles-mêmes puisqu’elles ont vu le jour dans un aveuglement souhaité.
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